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Marie forme avec son amie Doo le groupe Sisterhood Project, aux influences trip-hop rock féministe. Un binôme féminin qui allie à la fois cette fraîcheur des personnes éprises de liberté et cette gravité de celles qui ont vécu un peu plus que les autres. Marie, chanteuse et compositrice, est une brune incendiaire à la voix aux influences soul qu’on n’oublie pas, sûrement grâce à cette petite brisure qu’elle nous laisse entendre parfois. Une femme qui prend de la place et qui la prend bien, une Diva moderne et queer. En concert, Marie se fait prêtresse, elle nous ensorcelle et nous transporte dans un sabbat moderne. Portrait.

À vingt-huit ans, Marie s’est enrichit de son parcours varié : école de théâtre, fac d’histoire, école de musique… Ce qu’on pourrait juger comme de l’instabilité lui a permis de se rencontrer elle-même et de prendre le temps de se connaître. Mais la musique a toujours eu une place particulière dans sa vie, même si Marie porte un regard assez critique sur son expérience :  » J’ai démarré la musique très jeune. J’ai fait pas mal de concerts entre l’âge de mes dix et dix-huit ans. Ça allait du bal bien pourri au café concert parisien. » C’est à dix-huit ans que Marie quitte sa petite ville de la Seine-et-Marne, pour emménager à Paris. Elle renoue alors avec la musique, notamment pendant son école de comédie : « Le théâtre m’a professionnalisé et j’ai rendu la musique professionnelle dans ma vie. » Puis Marie rencontre Doo. L’évidence de leur connexion musicale est indéniable. Elles créent le groupe ainsi qu’une production de musique à l’image Beautiful Accident.

« Je suis tombée sur une personne tellement honnête qui m’a dit que je composais à partir du moment où j’avais des idées, des mélodies dans la tête. Doo a légitimé mon désir parce qu’elle fait preuve d’une grande humilité et elle cherche à voir en l’autre la lumière. C’est assez rare ! »

Inspirée par la musique puissante et mélancolique, Marie possède une vision assez romantique du monde :  » On est sur une planète puissante, mais il y a quand même un constat de l’humanité relativement triste. » Son inspiration provient de cette vision, sûrement celle d’une génération toute entière qui subit de plein fouet les dégâts écologiques, économiques et sociaux causés par les générations précédentes. En plus des références aux groupes qu’elle adore, Marie est la recherche d’une forme de vérité dans la création :  » Il ne faut pas qu’il y ait de tricherie. C’est pour ça que j’ai dû mal avec les « recettes » des chansons qui fonctionnent bien élaborée pour faire la chanson de l’été. Pour moi, c’est même limite audible quoi !  » (Elle rit). Elle raconte également que sa construction musicale s’est faite en parallèle de sa construction (ou déconstruction comme elle dit justement) féministe. Grâce au travail en binôme, Marie a pu progresser à son rythme dans son appréhension de la musique : « À l’époque, on utilisait beaucoup de métaphore, on parlait le même langage. En tout cas, elle comprenait ce que je disais. Donc on a fonctionné comme ça, et avec l’aide de références qu’elle interprétait en musique. Moi j’ai besoin d’utiliser des métaphores du style “j’aimerais bien une guitare qui face comme des cascades“ et donner telle référence de Nell Young. » L’expérience de Doo, d’une certaine manière, s’est mise au service de Marie en la soutenant et en l’encourageant. La chanteuse peut alors se concentrer sur l’écriture ou sur la création de mélodies à la voix ou au piano.

Je fais moi-même mes maquettes, j’envoie tout à Doo et elle, elle a le don de tout sublimer. Un très beau texte peut faire naître une jolie musique et inversement. Ce qu’elle fait, je suis incapable de le faire, grâce à son expérience et à sa sensibilité que je n’ai pas.

Le nom du groupe, Sisterhood Project, Projet d’une sororité en français, m’évoque cette belle rencontre qui a permis l’épanouissement de Marie en tant que musicienne compositrice. Peut-être dû à son histoire personnelle ou à cette société patriarcale qui ne met pas assez en valeur les femmes artistes, Marie a eu besoin d’une sœur pour l’épauler dans ce projet et l’aider à le sublimer. La différence de génération entre les deux femmes permet un enrichissement de leur univers et c’est l’une de leur grande force. Au niveau de la place accordée aux femmes dans le milieu de la musique, Marie voit une certaine évolution qui permet un espace d’expression, même si le combat est loin d’être gagné. On observe aujourd’hui une éclosion des artistes féministes dans la musique mainstream : la chanson Balance ton quoi d’Angèle est classée troisième meilleure vente de l’année 2019 en France. Alors, même si pour certain.e.s les paroles ne vont pas assez loin ou la mélodie semble simple, le message porté par la chanson ainsi que par la chanteuse est assez clair. On pourrait aussi citer Beyoncé, Rihanna ou Lady Gaga qui, en plus d’être celles qui vendent le plus d’album dans le monde, défendent aussi leurs places de femmes indépendantes et engagées à leur manière… Il est notable que les artistes qui vendent le plus de disques au niveau mondiale sont des femmes, tandis que les producteurs, les journalistes, les directeurs de label, les diffuseurs, les programmateurs de festival sont en grande majorité des hommes. Il est d’ailleurs possible de faire le même parallèle entre les personnes racisées et les personnes blanches. Marie remarque tout de même la différence de traitement, comme le slutshamming que subissent les femmes dans ce milieu, mais aussi une forme de racisme et de sexisme dans le choix des artistes mis.es en avant :

« La femme féministe peut prendre un espace mais surtout dans quelque chose d’ultra genré, notamment dans la musique mainstream populaire, au sein de laquelle, la femme est encore le produit marketing où, pour vendre, il faut être mince, occidentale et peut-être un peu vulgaire. Dans la musique, la femme est encore catégorisée : la petite meuf mignonne avec sa gratte au coin du feu, la meuf avec un énorme cul qui booty shake sur des bagnoles… C’est assez segmenté. Ce n’est pas l’individu qui prime, contrairement aux hommes qui ont le choix d’être ce qu’ils sont. Mais ça évolue, heureusement d’ailleurs ! »

Les injonctions qui pèsent sur les femmes sont un des thèmes qui ont inspirés le groupe. Dans Ten Secrets of Beauty, le groupe a repris un texte d’Audrey Hepburn, qui, répondant à la question d’une journaliste, ne conseille ni parfum ni rouge à lèvre. L’icône du cinéma des années 50, reconnu pour sa beauté plastique, y évoque plutôt une dimension plus profonde de la beauté : « Pour avoir des lèvres attirantes, prononcez des paroles de bonté. Pour avoir de beaux yeux, regardez ce que les gens ont de beau en eux … »

On peut déplorer cette différence de traitement entre les hommes et les femmes partout dans notre société. Ce double standard n’atteint pas Marie qui a décidé de se détacher de son genre, ainsi que des préceptes imposés par la société. Sa décision de sortir de cette condition de genre et son désir de mettre en avant l’individu avant tout, n’empêche pas qu’elle soit confrontée à des injustices patriarcales et sexistes. Mais c’était sans compter sa grande force de caractère :

« Je me suis dit ok, tu vas faire de la zik mais en plus tu vas faire de la zik en essayant de détruire tous ces obstacles qui t’empêcheront d’attendre cet absolu qu’est la musique. C’est pour ça que tant que je ferai de la musique et que le féminisme n’est pas bien appliqué, ma musique sera toujours féministe. Toujours. »

Sans se souvenir de la première injustice qu’elle a vécue à cause de son genre et de son sexe, Marie sait que c’est à ce moment-là qu’elle s’est sentie féministe. C’est dire à quel point cela a dû arriver tôt dans sa vie. Au début, son combat féministe était assez centré sur son échelle et sa classe sociale. Très critique à propos de ce qui l’entoure, elle se rend ensuite compte que les schémas de domination dépassent largement sa sphère de proximité et qu’ils régissent la société toute entière. La jeune femme s’est dite indignée par le capitalisme, ce système dans lequel on vit et qui creuse les inégalités entre les populations. Mais elle a foi dans les différents mouvements qui se lèvent comme le féminisme, l’écologie, les gilet-jaunes mais aussi la pensée décoloniale. Banlieusarde dans sa jeunesse puis Parisienne, Marie ne se reconnait plus dans ces paysages bitumés, symbole de notre société néo-industrielle.

« Moi, dans 10 ans, je m’imagine à la campagne, c’est indéniable. Avec mes potes, dans une énorme ferme, sexualité fragmentée et en communauté. Mais avec beaucoup de musicien quand même, pour que la vie soit pleine de musique tout le temps.« 

Face aux segmentations du féminisme et les différents courants définis aujourd’hui (Denise vous a fait un résumé de ces courants sur Instagram), Marie ne défend pas un féminisme en particulier, elle rêve plutôt d’une convergence des luttes contre le patriarcat. Pour la chanteuse, l’objectif ne doit pas être perdu de vue et les nuances devraient être apportées plus tard. Car le chemin vers l’égalité pour tou.te.s est loin d’être gagné. Et inévitablement, parfois, le découragement se faire sentir face à la montagne qui se dresse devant nous. Marie raconte la difficulté de lire certains commentaires sexistes, machistes ou même racistes sur les réseaux après avoir passé la soirée de la veille à parler féminisme pendant des heures. Elle déplore la misogynie omniprésente chez beaucoup de gens.

« La femme est encore un faire-valoir, un vecteur de quelque chose. L’aboutissement ne concerne jamais la femme. Parce que la femme, intrinsèquement, c’est la faute : celle qui a tort. Le féminisme c’est faire comprendre que le tort est nulle part. Sauf si tu fais du cas par cas et que tu juges l’individu en tant que tel, et non son genre pour aller plus vite et puis éviter de réfléchir. »

Investie de toutes ses forces dans le combat féministe, Marie ne blâme pas les artistes qui seraient moins engagé.e.s qu’elle. L’art oblige l’engagement du cœur et de l’âme et la création est animée par une passion que Marie ne s’autorise pas à juger. Elle envisage l’engagement d’un.e artiste à la manière dont elle.il s’investit dans son art mais aussi vis-à-vis de son l’honnêteté envers sa propre intériorité. « Il y a des engagements qui se voient plus que d’autres. Le mien, j’ai décidé qu’il soit visible et qu’il soit presque paraphrasé : c’est féministe et on va parler féminisme. Mais je peux aussi défendre des choses de manière plus onirique ou les mettre en exergue. » Dans son combat, elle tente d’être bienveillante mais reste très critique, autant envers les autres qu’envers elle-même. En effet, elle signale qu’en avançant dans sa connaissance du féminisme, elle rentre en désaccord avec ce qu’elle a pu écrire.

Dans Big Car, je dis « cause your dick is too small and your brain is too slow ». (Car ta bite est trop petite et ton cerveau trop lent) Aujourd’hui, je pense que chacun a le corps qu’il a et, dans cette idée de bodypositive, si t’as une petite bite c’est pas grave. C’est pas pour autant qu’on ne fera pas de sexe et que ça ne sera pas bien. Il y a mille manières de faire l’amour et peut-être que ça fonctionnera très bien. Voilà, pour ce genre de truc, j’ai fait mon chemin. En même temps c’est assez succulent. Je me plante sur des tonnes de truc, encore, je lis des infos, je me laisse un certain temps pour les accueillir, pour les faire miennes. Je ne veux pas recracher ce que j’ai vu dans les médias. Mais il faut se laisser du temps, et il faut aussi en laisser aux autres. Si des gens sont pas avancés comme toi mais que tu sens qu’il y a une véritable envie … Bah t’as le droit de dire des conneries, j’en ai dit et j’en dis encore.

Les retours dont parle Marie sont variés. Même si elle se définit clairement comme féministe, certains de ces actes choquent pourtant ses followers. Une photo de son aisselle poilue sur Instagram a provoqué des réactions d’incompréhension. Mais aussi de reconnaissance lorsque qu’on lui écrit : »ah moi aussi ! ». Les morceaux de Sisterhood Project inspirent : certain.e.s font l’amour, d’autres pleurent. Quelques morceaux peuvent rendre très conquérant.e., tandis que pour une minorité ils sont trop radicaux. « J’ai des gens qui me disent qu’il ne faut pas dire féministe. Il y en a plein ! Des femmes, des hommes qui me disent que c’est « dommage » de s’autoproclamer féministe… » Il est clair que Marie ne souhaite pas faire l’unanimité mais elle fait réagir et n’a pas peur de bousculer les codes. Sans revendiquer une perfection musique et politique, le groupe sublime l’imperfection qui nous caractérise. Leur prochain EP aura pour nom Brotherhood, (Fraternité), on suppose donc des chansons consacrées à l’homme ainsi qu’aux masculinités modernes. En attendant, laissez-vous envahir par la sororité de Sisterhood Project, il en aura assez pour tout le monde !

Mention spéciale pour I’m real et Romanian Mirror, mes coups de cœur personnels de l’album.



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