Avec l’essor de Vinted, les articles de seconde-main ont investi nos placards et nos réseaux sociaux. Déballer ses colis Vinted face caméra est devenu chose commune sur Tik Tok. Décryptage d’un phénomène qui en dit long sur notre manière de consommer. 

Haul-rigines

En anglais, « haul » signifie « butin » ou « achats ». Avec les réseaux sociaux, ce terme est devenu une catégorie de vidéos à part entière. C’est au début des années 2010, au moment de l’avènement de Youtube, qu’un grand nombre de chaînes publie des hauls, d’abord à des dates clefs comme à Noël ou au Black Friday, puis de façon plus récurrente. Ces dernières années, avec l’apparition de vidéos plus courtes sur TikTok et sur les autres plateformes, il est désormais possible de publier des hauls relativement courts, entraînant ainsi la démultiplication de ce genre de contenus. Deux changements sont à noter entre les premiers hauls Youtube et ceux qui inondent aujourd’hui les réseaux sociaux

  • Il est désormais beaucoup plus facile de produire ce type de contenus, les outils de montage sont intégrés à l’application
  • Le métier de créateur.rice de contenus s’est démocratisé. Pour publier des hauls, il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’être un influenceur, être un consommateur suffit

Si les premiers hauls Youtube concernaient surtout les produits de beauté et les vêtements issus de marques de fast fashion, un tournant s’est amorcé avec la démocratisation de la seconde-main. Vinted est une des premières plateformes de revente à avoir saisi les enjeux d’une consommation alternative accessible. Si la vente et l’achat ont longtemps été réservés à quelques pays d’Europe, la plateforme s’est progressivement ouverte à d’autres pays. Aujourd’hui il est possible d’acheter à moindre coup à un.e Vintie en Italie, au Portugal, au Danemark, en Belgique… 

L’arrivée de Vinted et le chamboulement de nos habitudes de consommation

En 2023, la France établissait le chiffre record de 8 milliards d’euros de vente d’occasion, soit 8% du marché mondial. Parmi les 80 millions de membres inscrits sur l’application Vinted, 23 millions sont français. Si les chiffres parlent d’eux-mêmes, les contenus publiés sur les réseaux sociaux confirment cette tendance.

De nombreux comptes TikTok se sont réappropriés le concept de haul en l’appliquant à la seconde main. Quotidiennement, des milliers de vidéos paraissent, montrant des utilisateurs.rices déballer chaque carton devant la caméra. On voit d’ailleurs parfois plus de déballage, d’ouverture de cartons que d’articles, donnant alors l’impression que l’article acheté, souvent à un prix dérisoire, passe après le fait d’unboxer. Au son des cartons et des plastiques éventrés face caméra s’ajoute souvent la phrase : « Je ne sais pas ce que c’est ». Si la formule paraît anecdotique, elle révèle surtout que ces utilisateurs.rices consomment au point de ne plus se rappeler de leurs récents achats. 

Depuis ses débuts en 2008, Vinted a considérablement évolué. La plateforme recommande désormais des articles, facilite les achats en ayant notamment diversifié les transporteurs mis à disposition des utilisateurs, raccourcissant ainsi les délais de livraison. Tout est désormais fait pour simplifier le parcours d’achat.

Cet aspect frénétique, incontrôlable, est au coeur du témoignage d’Alexandre (@alexandresintive), un utilisateur de TikTok qui confie dans une récente vidéo :

« J’achète 2 ou 3 trucs par semaine. Vinted ça m’a trop matrixé. […] C’est de pire en pire car j’achète des trucs sur Vinted de plus en plus chers. Je commence à acheter du neuf aussi. J’ai acheté un ensemble Adidas à 200 balles. Genre je l’ai vu et 10 minutes après je l’ai acheté ». 

Eva (@evaabgtt) publie régulièrement des hauls Vinted. Elle partage dans une de ses dernières vidéos : 

« J’ai un peu l’impression que c’est Noël car j’ai reçu plein de colis. […] En vrai j’en ai pas reçu plein, je croyais que j’en avais reçu plein mais j’en ai reçu que six alors qu’il y en a trente qui vont arriver. »

Selon un rapport mené par Vaayu, logiciel qui permet aux marques et aux entreprises de vente au détail de suivre et de réduire leur impact sur l’environnement en temps réel, 30% des commandes Vinted seraient des achats excessifs. 

TikTok, relai privilégié de la seconde-main ?

En parallèle des recherches que j’ai effectuées pour cet article, je suis entrée en contact avec des personnes friandes de seconde-main. Parmi elles, Clémentine, 25 ans, chineuse hors pair depuis son adolescence. Sur l’application, elle déniche le plus souvent des articles de designer et de créateurs, connus ou non. Ce qu’elle recherche particulièrement ? La qualité, même si elle peut encore se laisser tenter par des articles de fast fashion :

« Je dirais que j’achète au moins 2 à 3 pièces par mois, en sachant que j’en vends aussi très régulièrement. Quand une pièce rentre dans mon dressing, j’essaye qu’ une autre en sorte ». 

Si elle parvient à réguler ses achats en se servant de l’application pour vendre les vêtements qu’elle ne porte plus, elle n’est pas hermétique aux tendances mises en avant sur les réseaux sociaux, notamment par les créateurs.rices de contenus. Elle me raconte notamment qu’elle a été influencée par une vidéo prévisionnelle des tendances de l’hiver dans laquelle figuraient des articles de seconde-main, trouvables sur Vinted ou d’autres applications, à l’aide de mots clefs. 

« Je préfère acheter une pièce dans une fripe plutôt qu’un gadget souvenir du pays que je visite. Avant mon week-end à Dublin où j’ai mes habitudes de chine, j’ai visionné une vidéo de Rubi (@rubipigeon) dans laquelle elle prédisait les tendances automnales et faisait une sélection d’articles Vinted en rapport avec celles-ci. Et donc j’avais cette vidéo en tête pendant mon séjour. J’ai regardé sur Vinted si je trouvais les pièces qu’elle avait montrées dans sa vidéo, sans grand succès. Le dernier jour de mon voyage, je suis rentrée dans une boutique et je suis tombée par hasard sur une pièce qui correspondait absolument à la trend dont elle avait parlé. Je sais qu’inconsciemment ça m’a influencé, je pense que je n’aurais pas trouvé cette pièce aussi belle et au point de l’acheter au prix où elle était ». 

Plutôt que de suivre à tout prix la tendance, en cherchant directement des articles similaires sur des sites de vente traditionnels, Clémentine s’est rendue sur Vinted. Même si ces recherches n’ont pas été, pour cette fois du moins, couronnées de succès, elle n’a pas cédé à la tentation de la fast fashion, pourtant très à la page en termes de tendances. 

Même si Clémentine est déjà une prêcheuse convaincue de « l’Église de la seconde-main », ces vidéos de prédiction, ces hauls et autres unboxing peuvent encourager les plus frileux.ses à s’aventurer sur des sites de reventes. Avec les bons mots clefs et quelques astuces, il est possible de se faire plaisir sans se ruiner. Pour autant, la grande majorité de ces vidéos, si elles peuvent pousser d’autres personnes à consommer de la seconde-main, ne font pas office de campagnes de sensibilisation. Vinted semble surtout être un moyen d’acquérir des articles pour correspondre aux tendances que TikTok fait naître et presque instantanément mourir. 

Son algorithme va jusqu’à encourager les utilisateurs à maintenir une cadence de publication élevée. De son côté, il continue de proposer des vidéos du même type à ses utilisateurs. Ceci explique en partie la frénésie autour des « hauls Vinted ». Plus les utilisateurs consomment ces contenus, plus les créateurs vont en publier. 

Est-ce toujours green de surconsommer de la seconde-main ?

Vinted et d’autres applications ont largement participé à la démocratisation de la seconde-main même si leur interface pousse les utilisateurs à se laisser tenter encore et encore. Autrement dit, si l’heure est belle et bien à la seconde-main, elle n’est certainement pas à la sobriété. De même que la seconde-main n’est pas non plus synonyme d’anti-fast fashion. En effet, sur Vinted, 60% des articles vendus sont issus des groupes Inditex, Shein, H&M et Primark. En plus d’appliquer une logique consumériste proche de celle mise en place par les enseignes de fast fashion, Vinted encourage, d’une certaine manière, l’achat de ce type d’articles. A contrario, Vestiaire Collective les a bannis de son application. 

Si ces enseignes abreuvent constamment les plateformes de seconde-main, elles s’y mettent aussi à leur propre compte et confirment par la même occasion que la seconde-main est un nouveau marché porteur. En 2023, Zara a, par exemple, créé un onglet qui lui est dédié sur son propre site internet. Cette initiative montre à la fois la volonté du géant espagnol de contrecarrer Vinted ainsi que celle de surfer sur la vague de la seconde-main, tout en tentant de redorer son image de grand pollueur. Cette décision est le signe que la seconde-main peut s’inscrire dans une logique capitaliste.

Avec 100 milliards de vêtements produits chaque année dans le monde, il est assez difficile, surtout lorsqu’on est peu habitué à chiner, de se défaire totalement de la fast fashion et même de l’ultra fast fashion (entre autres Shein et Primark). Il n’empêche que donner une deuxième vie à un article issu de la grande distribution réduit l’impact environnemental du vêtement autant que son coût économique. Selon le rapport mené par Vaayu, pour 2,65 vêtements achetés sur Vinted, l’achat d’une pièce neuve a été évitée. Acheter sur Vinted permet d’éviter de produire 1,8 d’équivalent dioxyde de carbone, ce qui représente 15km de distance en voiture. 

En principe, donner une seconde vie aux vêtements qu’on ne porte plus est une bonne manière de réduire sa consommation et son impact environnemental. Toutefois, avec son succès, Vinted s’est développé et permet à ses utilisateurs d’acheter aux quatre coins de l’Europe sans trop s’en rendre compte. Si les coûts environnementaux de la confection du vêtement sont bien évités, ceux du transport restent importants, et cela malgré le système de livraison en points relais.

Si l’application Vinted a considérablement influencé notre manière de consommer de la seconde-main, elle fait en sorte que ses utilisateurs restent sur les rails du capitalisme. Finalement, plus que nous orienter vers la seconde-main, Vinted nous pousse à consommer. 

Pour en savoir davantage sur Vinted, l’émission Vinted, une fortune dans vos placards.



Une réponse à « Haul Vinted ou l’art de mettre en scène sa consommation de seconde-main sur les réseaux sociaux »

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