Nous avons plus d’un million de manières de répondre et pourtant une seule de ne pas le faire. Qu’elle soit justifiée ou négligée, la violence du silence tente d’être entendu par le destinataire malgré l’absence de réponse. Au travers de cinq histoires exprimant chacune les différentes phases du deuil (déni, colère, négociation, douleur et acceptation) Denise va tenter de mieux comprendre les émotions ressenties face à une situation de non-réponse.

14 avril 2009, Lomé, Togo – Déni

Aujourd’hui j’attends. J’ai toujours couru partout sans jamais savoir où j’allais. J’ai terminé mes études parce que je souhaitais que mes parents soient fiers de moi. Une femme togolaise ingénieure est un profil rare au sein du continent. Je suis partie étudier dans un autre pays, j’ai gravi les montagnes du savoir et j’ai fait marcher l’économie pour vivre confortablement. J’ai postulé pour des dizaines d’entreprises mais le résultat était toujours le même, sans appel. Une femme noire ingénieure ne part pas avec les mêmes avantages que ces confrères. Mes recherches se résument à répondre à une annonce puis à envoyer ma lettre de motivation et attendre désespérément que l’on me recontacte. Peut-être qu’ils ont engagé quelqu’un de plus compétent. Peut-être qu’ils n’ont jamais reçu mon courrier électronique. Peut-être que mes ambitions sont trop élevées et que je devrais rentrer auprès de ma famille. Peut-être que j’ai dit quelque chose qu’ils n’ont pas apprécié. Depuis que j’ai quitté le Togo, je me suis toujours battue pour exister dans cette société. Alors pourquoi aujourd’hui ce n’est pas suffisant ?

20 août 1961, Berlin, Allemagne – Colère

Aujourd’hui la guerre n’est pas finie et la colère ne fait que commencer. Berlin ne sera jamais plus mon havre de paix. Depuis 7 jours la ville est divisée par un mur de briques empêchant les habitants de le franchir sous peine de mort. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir dans ce climat anxiogène. En une nuit, les Soviétiques ont réussi à construire la destruction d’une partie de l’humanité. J’ai écrit des centaines de lettres à mes proches, au gouvernement, au reste de l’Europe, au monde entier pour que l’on se mobilise. Pour que l’on cesse de tuer, de détruire, de maitriser ou d’affaiblir des populations entières sous prétexte qu’il faille respecter les alliances politiques. Je suis persuadée qu’il faut se rassembler pour abolir définitivement ce régime autoritaire. Mais personne n’entend mes cris de douleur. Partout nous faisons semblant d’être en accord avec les pratiques abusives des dirigeants par peur des représailles. Leur silence ne fait que renforcer ma haine. Je reste ainsi seul face à mon indignation et mes convictions. Je me demande alors, dans ce monde assourdissant, comment puis-je entendre une vérité silencieuse d’un mensonge bruyant ?

3 septembre 1999, Londres, Angleterre – Négociation

Aujourd’hui je ne comprends pas. Nous parlions d’avenir, de projets et de se retrouver quand je rentrerai de mon voyage. Nous nous sommes tenus la main dans la noirceur de ces rues éclairées par la lumière protectrice des réverbères. J’ai embrassé doucement les moindres parcelles de son corps si bien dessiné jusqu’au lever du soleil. Quand elle est partie, je l’ai regardé remettre ses cheveux avant qu’elle ne disparaisse dans la foule londonienne. J’ai souris pensant à toutes ces futurs moments où je pourrai l’admirer lorsque nous nous reverrons. Nous ne nous sommes jamais revus. Je l’ai prévenu de mon retour, je l’ai appelé à plusieurs reprises et je me suis même promené dans ces endroits que nous avions fréquentés auparavant, pensant la retrouver. J’imagine la croiser au détour d’une rue ou je me dis qu’elle a tout simplement changé de numéro. Elle est imprégnée en moi. Je pense souvent à sa façon de rire qui cache ses blessures dans ses éclats de joie, à ses mains douces qui effleurent ma peau à travers mon tee-shirt et à son intense regard qui m’impressionne. Alors non, je ne comprends pas. Comment est-ce possible qu’elle me fît me sentir aimé et que le lendemain elle a agi comme si je n’avais jamais existé ?

18 février 1956, Tokyo, Japon – Douleur

Aujourd’hui, je suis désespéré. Cela faisait huit mois que je travaillais sur ce projet en collaboration avec mon professeur d’université. J’avais réussi à construire un système électronique permettant de soigner les cancers en évitant une chimiothérapie. Je n’ai jamais été autant passionné par ce sujet. Savoir qu’il était éventuellement possible de soulager des milliers de personnes à travers le monde, m’animait chaque jour d’avantage. Après de longues réflexions, nous avions décidé de le rendre accessible gratuitement aux hôpitaux pour qu’ils puissent en profiter. Seulement, depuis plusieurs semaines je n’ai aucune nouvelle de mon professeur. Loin de moi l’idée que je ne lui accordais pas ma confiance, je l’informais sur les résultats de mes recherches et le détail des différents fonctionnements électroniques. Notre complicité était fusionnelle. Mais lorsqu’il fallut décider si devions commercialiser la machine, il s’est révélé agressif et sûr de lui. Je n’avais pas travaillé ardemment pour l’argent mais bien pour l’intérêt collectif et la recherche médicale. Je ne sais plus comment tenter de le contacter et l’empêcher peut-être de commettre une erreur. Huit mois de travail, deux mois de non-réponse et je me demande si je vais pouvoir assumer la douleur de cette tragédie ?

3 décembre 1986, Rennes, France – Acceptation

Aujourd’hui j’ai accepté que cela n’avait aucun rapport avec moi. Longtemps je me suis justifié sur mon orientation sexuelle. J’ai été renié de ma propre famille et certains de mes amis n’ont plus jamais voulu me parler. Je n’ai jamais eu de réponse quant à la violence de l’homophobie. L’homosexualité a été dépénalisée depuis 1982 et pourtant je me sens toujours condamné par les désirs que j’éprouve. Je ne devrais pas me cacher d’aimer les hommes. Accepter qui je suis c’est également accepter qui je ne serai plus celui qu’ils veulent que je sois. Dans la douceur des caresses masculines ou dans la violence des propos qui me sont adressés, j’ai fait le deuil d’une vie que je ne vivrai pas et d’une famille que je n’aurai plus. J’ai fait le choix d’être une âme libre prisonnière des stéréotypes. Je me suis écouté et je me suis choisi à travers mon orientation sexuelle.  Aujourd’hui je ne demande plus rien car je possède désormais les réponses. Ces réponses, elles sont en moi.



Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer