Dans le cadre d’un concours pour l’Institut Français d’Écosse, Lucie a dû répondre au sujet suivant :  écrire une lettre dans laquelle tu raconteras un événement réel ou fictif qui t’es arrivé ou dont tu as été témoin.

Très cher Hypocrate,

Cela fait quelques semaines que j’essaie de réunir mon courage pour t’écrire cette lettre. Je suppose que je refusais de formuler ces futures lignes que tu t’apprêtes à lire par peur de réaliser moi-même leurs significations.

J’ai décidé de mettre un terme à une relation.

Je t’écris cette lettre à Paris depuis un café, un dimanche d’automne pluvieux, où le seul réconfort se trouve auprès de l’être aimé. Paradoxalement, c’est dans ce même café que j’ai pris cette décision radicale vingt et un jour auparavant.

De ma chaise je me revois la quitter brutalement, un soir de semaine autour d’un verre de vin. La soirée était à son apogée, les gens dansaient, l’alcool coulait à flot et la sérénité embaumait ce même espace qui aujourd’hui me parait bien triste.

Nous nous sommes retrouvées, comme nous en avions l’habitude, après une longue journée épuisante. Je ne pensais pas le faire ce soir là mais l’idée me traversait l’esprit depuis quelques mois et reculer n’aurait fait qu’accentuer la peine que j’éprouvais déjà. Je ne lui ai pas laissé le temps de rétorquer, j’ai entamé mon monologue que j’avais récité toute la journée dans mes pensées.

J’ai commencé par évoquer ses qualités, jeu dangereux tu vas me dire, mais il fallait souligner les quelques bienfaits de ces quatre dernières années. J’ai fait sa connaissance lors d’une fête de lycée dans le 6e arrondissement. Elle connaissait visiblement tout le monde et j’avais entendu parler d’elle quelques fois auparavant. En une étincelle j’ai su que je ne la quitterai plus. On s’est revu quelques jours après. Notre histoire a duré quatre ans. Elle a toujours été présente pour moi, dans les peines orageuses ou les bonheurs ensoleillés. Je me suis battue pour elle, contre mes parents, contre ces lieux qui lui refusaient l’entrée, contre parfois ma propre liberté. Mes amis l’ont adoptée très rapidement, elle était invitée même quand je ne pouvais pas me libérer. Sa présence était réconfortante, rassurante. Je ne pouvais plus me passer d’elle, son odeur était imprégnée dans mes vêtements, elle était devenue ma drogue.

Elle n’a rien répondu à tout cela. Elle attendait que je finisse surement, que je l’écrase par le poids de mes mots et leurs conséquences.

J’ai porté le verre de vin blanc à mes lèvres, j’ai bu délicatement afin de reprendre mon souffle et de poursuivre mon discours. Les prochaines phrases allaient être les plus dures à prononcer mais j’étais sûre de ma décision. Certains estiment que j’aurais pu entretenir la flamme quelques années supplémentaires. Que j’aurais pu la quitter quand la vie deviendrait sérieuse, on ne s’était pas promis de rester dans la santé ni dans la maladie. Mais y a-t-il un bon moment pour une rupture ?

J’ai le souffle coupé, le ventre noué, la gorge qui brûle. J’ai observé sa silhouette légère et volatile. Elle était magnifique ce soir-là mais je ne lui ai jamais dit. J’ai poursuivi.

Malgré tous ces moments festifs que l’on a partagés, je lui ai dit au revoir pour de bon. J’ai pris conscience que sous ses airs d’allumeuses c’est un véritable cancer. Je lui reprochais d’avoir prétendu vouloir m’aider alors qu’elle me tuait lentement. Je n’étais pas la première qu’elle manipulait et j’ai été naïve de croire qu’avec moi ça serait différent. Sa présence n’était qu’illusion.

Je me suis levée et je suis partie sans me retourner bravant la pluie dans la nuit. La magie avait finalement cessé d’opérer. J’ai pris le métro vers une direction au hasard, je n’arrivais plus à réfléchir. J’ai même pensé la rappeler et lui dire que j’avais menti, qu’elle me manquait. Sauf qu’une fois que tu as accepté la vérité, le mensonge n’est plus un refuge.

Je l’ai recroisé quelques fois depuis. Elle n’a pas changé, elle a retrouvé quelqu’un. Cependant, je mentirais si j’affirmais ne pas avoir envie d’elle après quelques verres. Personne n’oublie quatre années en vingt et un jour. Néanmoins, je cours de nouveau au parc des Buttes Chaumont, celui que tu aimes tant. Je respire la vie à pleins poumons.

Parfois tu sais, j’aimerais avertir toutes ses prochaines victimes, mais le monde connait déjà les conséquences d’une telle dépendance. « Vous n’êtes ni invincibles, ni immortels » ai-je envie de hurler aux ignorants.

Alors je ne regrette rien, je suis contente de pouvoir jouir de la vie de nouveau. Je sais que tu prônes l’expérience par-dessus tout sauf que cette expérience fut pour moi nocive. Ce soir, en t’écrivant cette lettre je réalise le poison qu’elle fut pour moi. Aveuglée par son philtre, je me sentais désirée par toute une communauté alors que ce n’était que celui du centre hospitalier.

Ce soir, assise seule sur cette terrasse, en trempant mes lèvres dans ce même Chardonnay, je regarde les passants et je ris jaune.

Ce soir, je célèbre mes vingt et un jour sans avoir consommé une cigarette.

Je me sens à la fois seule et sereine.

Tu avais finalement raison, l’amour a un certain prix et celui de ma vie n’est plus à déterminer.

Mon tendre Hypocrate, je t’embrasse et je me languis de nos retrouvailles.

Ta chère amie, Lucie.



Une réponse à « Une relation toxique »

  1. Avatar de Virginie Michel
    Virginie Michel

    Quelle surprise cette fin, on se retrouve tout(e) retourné(e), cul par dessus tête ! Bravo, pour moi, c’est une chute digne d’une nouvelle littéraire.

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