Avec la créatrice d’ENAMI on a parlé couture, appropriation culturelle, inclusion et moto :

Vendredi 6 février, Imane Medjahed m’accueille chez elle pour un entretien plus qu’immersif dans son appartement-atelier : elle sur son lit en train de reprendre un corset, moi sur un tabouret en face de sa machine à coudre. Le noir est partout, même si la couleur encore timide apparait par touche sur les portants de vêtements.

Label néo-minimaliste fondé en 2017 en parallèle d’un master de Management Stratégique, ENAMI c’est l’anagramme d’IMANE. Comme une extension de ce qu’elle cultive pour elle-même, la marque se caractérise par une palette de couleurs plutôt monochrome, par une variété des matières et par une esthétique sportswear. Quand je lui demande d’où lui est venu cet entrain pour le vêtement sans faire d’école de mode, elle me répond que petite déjà : « Ma mère faisait faire toutes ses robes, je prenais toutes les chutes ». Alors même si les restes de tissus servaient d’abord à habiller ses poupées, son penchant pour la déconstruction/ reconstruction ne va faire que s’affirmer, à l’adolescence elle n’a de cesse de « retailler, couper [les vêtements qui] ne restaient jamais tels quels ».

Les deux premières saisons d’ENAMI offraient une gamme de couleurs plutôt restreinte, monochrome. Comme la créatrice le dit, le « noir est plus complexe à travailler » puisqu’il exige un effort supplémentaire au niveau des textures pour différencier les pièces. Chez ENAMI, c’est d’abord le noir qui se décline sous toutes ses coutures. Au challenge du noir s’en ajoute désormais un nouveau : celui de la couleur, déjà amorcé par la collection Printemps-Été 2020 avec le violet et le vert pastel. Plus franche, c’est la collection Automne-Hiver 2020 qui concrétise le virage d’ENAMI vers la couleur : ce sont désormais le rouge et le vert qui côtoient le noir et le blanc. Sans porter atteinte à l’homogénéité du tout, l’apparition de teintes primaires renforcent l’individualité de chaque silhouette. Comme l’intégration de la couleur, l’insertion de pièces nocturnes davantage sensuelles sans être dans le « sexy opulent », renforcent l’identité plurielle de la marque.

ENAMI c’est aussi de la politique. Le rejet de l’oppression était notamment au centre de la collection Automne-Hiver 2019 avec les cagoules en simili cuir et les silhouettes exclusivement noires, uniformes, donnant presque l’impression d’une armée robotique. ENAMI c’est aussi de l’architecture, le brutalisme surtout. Répandu dans les pays du bloc de l’Est dans la seconde moitié du XXe siècle, il est visible par touche dans l’univers de la marque, dans les lieux utilisés pour les défilés (industriels), dans les accessoires (pochette et collier en béton) ainsi que dans les mises en scène des présentations (des palettes de bois font office de podium). Le motif de la parabole, imprimé sur des tee-shirts et utilisé sur le set de la première présentation concilie architecture et retour aux sources puisqu’il est un clin d’oeil aux origines algériennes d’Imane. La moto et particulièrement le T-MAX participent de cet univers aux inspirations multiples et surprenantes mais toujours maîtrisées. C’est toujours « par touche » que la créatrice pioche ici et là les détails qui vont construire sa collection future.

À propos de cette volonté d’équilibre, Imane évoque d’elle-même le sujet brulant de l’appropriation culturelle. Elle nous raconte qu’elle s’est sentie, en s’intéressant aux motards de Baltimore, transgresser la limite entre l’inspiration et l’appropriation. C’est en utilisant leurs slogans (« Bike Life » ; « Ride or die ») qu’elle a saisi qu’elle franchissait une frontière : « quand j’ai compris que c’était un mouvement, que c’était à eux, j’ai compris que je n’avais pas à faire ça ». Imane conclut que « la mode aime bien prendre ce qu’il y a à prendre ».

Les défilés laissent voir un casting inclusif, une diversité des profils que la créatrice n’explique pas forcément puisque les recrutements se font au feeling. La pluralité des profils enrichie l’esthétique globale du défilé : « visuellement la collection est plus riche ». Il y a comme un jeu d’interprétation puisque, comme le souligne Imane, tel profil finit par incarner tel vêtement. La mise en scène sonore est tout aussi authentique puisque la créatrice collabore avec le musicien Illy Baze qui compose des odes immergeant le spectateur dans une bulle débarrassée de superflu, brute. Tout comme la musique, les bijoux qui proviennent de chez Thismxjewelry sont spécialement conçus pour ENAMI. Toujours dans l’univers mécanique, la matière première des accessoires est automobile puisqu’ils sont fabriqués à partir de taule d’acier de voiture. À mi-chemin entre déconstruction et reconstruction, la créatrice semble composer avec ce qu’il lui est d’abord familier, qu’il s’agisse des matériaux choisis ou des collaborations externes à la marque.

Concernant les problématiques écologiques, ENAMI n’utilise pas de matières animales, pas forcément par conviction mais la créatrice assure : « si je devais en utiliser, ça serait de la récupération ». Pour ce qui est de la fabrication des pièces, elles sont toutes confectionnées par Imane à Paris. Les tissus eux, proviennent souvent de pièces déjà existantes. Comme les accessoires, les vêtements proviennent d’un circuit de production court. Pas seulement couture, ENAMI crée aussi des tee-shirts (de sponsor) en coton biologique qui condensent l’univers de la marque à prix abordable.

Aux prémices d’une prise de conscience de notre consommation vestimentaire, ENAMI redéfinit les codes de la couture en proposant des silhouettes qui ressemblent au plus grand nombre, en produisant à Paris et en utilisant des matériaux de récupération. Ces prises de position très politisées aujourd’hui, sont naturelles pour la jeune créatrice qui incarne d’autant plus la nouvelle vague couture parisienne.

Site : https://madeinenami.com



Une réponse à « ENAMI, le label de vêtements qui déconstruit pour reconstruire »

  1. Avatar de Denimistry : quand la mode repense la matière première – Denise

    […] Si vous vous intéressez à la mode et à l’éco-responsabilité, nous vous recommandons les articles Rusmin et l’Upcycling : quand la création et le self-love contribuent à un monde plus sain et ENAMI : déconstruire pour reconstruire. […]

    J’aime

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer